Allocution de la protectrice du citoyen à l'occasion de la publication de son rapport d'étape concernant la gestion de la première vague de COVID-19 dans les CHSLD

  • 10 décembre 2020
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(La version lue fait foi)

Bonjour,

Je vous remercie de vous joindre à nous pour la présentation de ce rapport d’étape du Protecteur du citoyen.

Je vous propose un rendez-vous virtuel ce matin afin d’assurer la santé et la sécurité de mon personnel et de toutes les personnes qui auraient été présentes à la conférence de presse. Je vous remercie de votre compréhension.

Le 26 mai dernier, j’ai annoncé la tenue d’une enquête sur le déroulement et la gestion gouvernementale de la crise de la COVID-19 dans les CHSLD, durant la première vague de la pandémie. Cette intervention spéciale, fondée sur une analyse fouillée des faits et des enjeux systémiques, sera complétée à l’automne 2021.

Entretemps, face à une crise sans précédent, il est vite apparu que nous devions donner la parole aux personnes qui avaient vécu les événements au plus fort du drame sur le terrain au printemps dernier. Ce sont des personnes hébergées, leurs proches et des membres du personnel soignant. Ils ont porté plainte auprès de nous ou ils ont répondu – nombreux – à notre appel à témoignages.

L’objectif de ce rapport d’étape est d’en tirer des enseignements précis et de dégager des priorités d’action.

Un bref rappel de notre mandat : le Protecteur du citoyen veille au respect des droits des personnes qui font affaire avec les ministères et les organismes du gouvernement du Québec, ainsi qu’avec le réseau de la santé et des services sociaux. Il agit aussi en matière d’intégrité en traitant les divulgations d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics de même que les plaintes en cas de représailles liées à ces divulgations.

Avant d’aller plus loin, permettez-moi de rappeler que ce ne sont pas tous les CHSLD du Québec – même en zone particulièrement touchée comme la région montréalaise – qui ont connu une situation de crise aigüe. Ceux qui ont été épargnés ont su adopter des modes d’action dont il faut s’inspirer.

Par ailleurs, les témoignages sont unanimes : le personnel soignant sur les lieux a fait preuve d’un immense dévouement.

Pour vous situer, du 2 septembre au 2 octobre 2020, 1 355 personnes ont répondu à notre appel à témoignages et, du 2 septembre au 16 octobre 2020, nous avons reçu une quinzaine de mémoires de syndicats, de chercheurs, d’organismes et de comités d’usagers. À cela s’ajoutent les plaintes et les signalements qui nous ont été acheminés durant la pandémie.

Parallèlement, notre enquête nous a conduit à réaliser près de 250 entrevues avec des personnes ayant vécu la crise directement et à consulter une abondante documentation.

L’ensemble de ces sources corrobore les témoignages reçus et cela nous permet d’en tirer différents constats.

Je vous les résume :

  • Tout d’abord, les CHSLD ont été l’angle mort de la préparation à la pandémie alors que les efforts se sont massivement portés du côté des hôpitaux.
  • Par ailleurs, face à un virus méconnu, la menace a été sous-estimée. Personne n’a vu venir une contamination aussi fulgurante, étendue aux usagers, aux usagères et au personnel.
  • Les équipements de protection ont été insuffisants et distribués de façon tardive et inégale.
  • La mobilité du personnel, que ce soit d’un CHSLD à un autre ou de zone froide à zone chaude, a propagé le virus.
  • L’interdiction des visites des personnes proches aidantes a eu des conséquences néfastes, ceci en termes d’anxiété et de détresse majeure chez les personnes hébergées et les familles.
  • Des soins et des services ont été reportés ou annulés : il a souvent été question de soins de base, comme l’hygiène, l’hydratation, l’aide à l’alimentation, à la mobilité et à l’habillement. La santé physique et mentale de résidents et de résidentes a pu en être affectée de façon irréversible.
  • Au sujet des renforts, l’on se souviendra que des effectifs de l’extérieur ont été dépêchés dans des CHSLD. Leur aide a été indispensable, généreuse et appréciée. Néanmoins, beaucoup de ces personnes manquaient de formation pour agir en pareil contexte, et n’ont pu compter sur la supervision nécessaire. De plus, ces secours sont arrivés tard par rapport à la progression des éclosions.
  • Sur le plan administratif, le pouvoir décisionnel dans les CHSLD, bien souvent les plus touchés, était éloigné du terrain, d’où une désorganisation qui pouvait paralyser l’action.
  • Enfin, les témoignages insistent sur le poids des événements porté par le personnel durant la première vague. Entre le 1er mars et le 14 juin 2020, 13 581 travailleurs et travailleuses de la santé, œuvrant dans tout le réseau, ont été atteints de la COVID-19, soit le quart des cas rapportés durant la première vague. Onze en sont morts. La plupart ont connu la peur d’un virus inédit, une détresse liée au sentiment d’impuissance, et de l’épuisement en raison de la pression ambiante.

Dès à présent, que doit-on retenir de ce qui s’est passé dans les CHSLD durant la première vague et quels sont les changements à apporter pour respecter les droits et la dignité des personnes hébergées?

À ce stade-ci de l’enquête, je ferai état de 5 principaux enseignements auxquels se greffent des priorités d’action.

  1. Tout d’abord, les CHSLD doivent maintenir – quel que soit le contexte sanitaire – des soins humains centrés sur les personnes hébergées. Les CHSLD sont d’abord, et avant tout, des milieux de vie. Les contacts entre les personnes qui y demeurent et leurs proches aidants sont essentiels et contribuent à cette humanisation.
    ▶ Comme priorité d’action, les CHSLD publics et privés doivent mettre en place la formation, l’encadrement et les ressources matérielles nécessaires pour que les personnes proches aidantes puissent jouer leur rôle partenaire, en situation d’éclosion comme en temps normal.
  2. Deuxièmement, la pénurie de personnel dans les CHSLD a été au cœur des ratés pour assurer la qualité des soins.
    ▶ Comme priorité d’action, il faut pallier ce manque systémique de personnel, particulièrement pour les préposés aux bénéficiaires et le personnel infirmier. Il est dès lors attendu des autorités qu’elles aient recours à des moyens, incitatifs financiers ou autres, qui reconnaissent et valorisent le caractère essentiel de ces fonctions.
  3. En troisième lieu, on a constaté que les CHSLD qui ont pu compter sur le support et la supervision d’une ou d’un gestionnaire sur place ont assuré un meilleur encadrement pour faire face à la crise.
    ▶ Comme priorité d’action, les autorités responsables doivent poursuivre la mise en place dans chaque CHSLD d’une ou d’un gestionnaire de proximité qui soit en mesure d’exercer un leadership local fort auprès de son équipe clinico-administrative.
  4. L’on a aussi appris de la première vague que les CHSLD dont les décisions et les actions ont pris appui sur des bases solides en matière de prévention et de contrôle des infections ont mieux affronté la pandémie.
    ▶ À titre de priorité d’action, chaque CHSLD doit être en mesure d’entretenir une culture forte de prévention et de contrôle des infections. Cette culture doit être omniprésente auprès du personnel du CHSLD, des personnes proches aidantes, des visiteurs et visiteuses et de toute personne qui entre en contact avec le milieu de vie. Chaque CHSLD doit être outillé en conséquence.
  5. Enfin, la première vague a démontré que l’information et le transfert des connaissances pour assurer la continuité des services et des soins sont primordiaux.
    ▶ À titre de priorité d’action, un renforcement des canaux locaux, régionaux et national de communication est nécessaire afin de diffuser rapidement des renseignements et des directives claires, en plus de faciliter le partage des meilleures pratiques.

En ce 10 décembre, la pandémie est encore parmi nous et continue de faire des victimes. Les données ne nous rassurent toujours pas. Il faut que le bagage acquis au fil de la première vague contribue à implanter des changements fiables et durables pour protéger et rassurer les personnes vulnérables que sont les résidents et les résidentes en CHSLD.

Je termine en remerciant les nombreuses personnes qui se sont ouvertes au Protecteur du citoyen pour témoigner de ce qu’elles avaient vécu en CHSLD au printemps dernier. Mes remerciements vont aussi à l’ensemble des intervenantes et des intervenants qui, en dépit d’une flambée encore jamais vue, sont restés en place pour tenter de n’abandonner personne.

Je répondrai maintenant à vos questions.

Marie Rinfret, protectrice du citoyen