Allocution de la protectrice du citoyen - Dépôt du Rapport annuel 2018-2019

  • 26 septembre 2019
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(La version lue fait foi)

Bonjour à toutes et à tous,

Merci de vous joindre à moi pour la présentation du rapport annuel 2018-2019 du Protecteur du citoyen. Je suis accompagnée de Me Hélène Vallières, vice protectrice – Affaires institutionnelles et prévention, et de M. Claude Dussault, vice-protecteur – Services aux citoyens et aux usagers.

Mes premiers mots vont à mon équipe de collaboratrices et de collaborateurs. Je tiens à les remercier pour leur sensibilité particulière au respect des droits des citoyens et des citoyennes face aux services publics. Chaque jour, cela se traduit par une grande efficacité et une grande humanité de leur part, ainsi que par un réel empressement à remplir une mission exigeante. Chacun et chacune contribuent à faire du Protecteur du citoyen une institution indépendante, sans parti pris et innovante. Donc, un merci sincère aux personnes qui m’entourent et qui donnent tout son sens à l’existence même du Protecteur du citoyen.

Notre rapport annuel d’activités rend compte des problèmes observés au fil de nos enquêtes, que ce soit dans des ministères, des organismes, des établissements de détention ou dans le réseau de la santé et des services sociaux. S’ajoutent à cela les résultats de nos enquêtes en matière d’intégrité publique. Quatre mandats tout aussi important l’un que l’autre.

Je tiens à mentionner que bon nombre de nos interventions nous amènent à constater la qualité des services publics québécois. Dans d’autres cas, des correctifs doivent être apportés afin de corriger le ou les préjudices constatés. À cet égard, je souligne la collaboration des instances à corriger la situation lorsqu'un préjudice individuel ou collectif est constaté. Ceci témoigne de leur volonté de participer à l'amélioration des services publics québécois au bénéfice des citoyens et des citoyennes, et je m'en réjouis.

Nous avons une préoccupation toute spéciale pour les personnes les plus démunies. Elles ont des limitations personnelles en raison de leur santé, de leur âge, de leur condition sociale et économique, ou de leur isolement. Pour elles, les services publics peuvent sembler inaccessibles et, de fait, l’être! Or, ces gens ont souvent un besoin urgent des différentes formes publiques d’aide et de soutien. À travers les plaintes qu’ils nous font parvenir, ils nous disent leur sentiment d’impuissance devant des démarches administratives qui les dépassent. Nous recevons aussi des plaintes de femmes et d’hommes qui ne présentent pas la même vulnérabilité, mais qui rencontrent également de multiples difficultés à avoir accès à un programme, à un soin ou à un service auquel ils ont droit.

C’est ce qui m’amène à dire qu’en 2018-2019, nos enquêtes ont souvent révélé que lors de l’élaboration ou de l’application de certains programmes, les autorités responsables ne veillent pas suffisamment à faire le trajet administratif que doit emprunter le citoyen ou la citoyenne pour bénéficier des services offerts.

Faire le trajet citoyen, cela signifie emprunter exactement tout le parcours de la personne visée par le service public et qui en a besoin, à partir de sa demande initiale jusqu’à l’issue de sa démarche, en passant par l’ensemble des formalités imposées. Je pense ici, entre autres :

  • aux personnes à joindre;
  • aux formulaires à remplir;
  • aux documents à fournir;
  • aux sources à consulter sur le Web;
  • aux décisions à comprendre;
  • aux recours à exercer en cas de refus de l’administration.

Faire ce parcours peut révéler au responsable du programme ou du service que les exigences imposées aux citoyens et aux citoyennes ne sont pas réalistes par rapport aux personnes ciblées ou encore qu’elles ne sont tout simplement pas nécessaires.

Je vous donne quelques exemples.

Le crédit d’impôt pour solidarité que gère Revenu Québec est destiné à des personnes à faible revenu. Or, chaque année, plus de 40 000 prestataires qui y auraient droit ne le reçoivent pas. Pourquoi? Parce que Revenu Québec exigent d’eux qu’ils fassent une déclaration de revenus. Pour bon nombre de ces personnes particulièrement démunies, une telle exigence est très difficile à satisfaire.

Autre exemple, le Programme de solidarité sociale du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale vise à fournir des prestations d’aide de dernier recours à des personnes qui ont une maladie, un handicap ou une condition personnelle qui les empêche de travailler. Au fil de nos enquêtes, nous avons constaté que des prestataires peuvent être privés de sommes qui leur sont essentielles parce qu’on leur impose des démarches trop complexes. Ainsi, nous avons traité le cas d’une personne atteinte d’une grave maladie et qui touchait ces prestations. Elle a été avisée par le Ministère qu’elle devait elle-même vérifier auprès de Retraite Québec son admissibilité à une rente, parce que si c’était le cas, cela pouvait remplacer ses prestations. Incapable de mener ce genre de vérifications en raison de sa maladie, la personne a vu sa prestation de solidarité sociale passer de 1 035 $ à 300 $ par mois. Elle a été expulsée du logement qu’elle habitait depuis plus de 10 ans puisqu’elle n’était désormais plus capable de le payer. Que les services publics se soucient de l’harmonisation et de la complémentarité des programmes d’aide, on ne peut qu’être d’accord avec cela. Mais ces conditions d’harmonisation doivent s’adapter à la réalité et à la capacité des personnes concernées.

Du côté du réseau de la santé et des services sociaux, emprunter le parcours citoyen signifie comprendre ce que vit une personne âgée qui demeure sur une liste d’attente pendant plusieurs mois, voire des années, avant d’avoir accès à une ressource d’hébergement qui correspond à ses besoins. Cela veut dire aussi se mettre à la place d’un usager ou d’une usagère à l’urgence d’un hôpital qui y multiplie les chutes faute d’une évaluation adéquate de son état par les intervenants. Que dire également de ce que vit une famille qui vient de perdre un proche et que l’hôpital presse de quitter les lieux, sans respecter le délai de quelques heures de recueillement normalement accordé en pareil moment? Enfin, dernier exemple, des personnes en perte d’autonomie se voient couper des heures de services de soutien à domicile sans que leur condition se soit améliorée, et ce, selon un raisonnement strictement comptable.

Mon mandat à titre d’ombudsman correctionnel m’amène à constater le même phénomène dans le monde des établissements de détention. Nos enquêtes nous révèlent en effet que des personnes incarcérées sont aux prises avec de multiples démarches administratives pour faire revoir leur classement de mise en isolement, recevoir certains soins de santé ou encore pour obtenir leur médication lors d’un transfert d’établissement. Même chose pour avoir accès à leurs effets personnels, dont leurs propres vêtements.

Pour d’autres exemples, je vous invite à prendre connaissance de notre rapport annuel et à consulter notre site Web.

Les lacunes s’avèrent d’autant plus manifestes et déplorables qu’elles contrastent avec les pratiques d’autres secteurs des services publics où on s’interroge sur le parcours citoyen. On y porte une attention spéciale pour le simplifier, l’adapter et y consacrer des ressources d’aide aux personnes qui en ont besoin. Cette préoccupation qu’ont certains organismes publics devrait être la norme.

En d’autres mots, les organismes publics doivent se donner la peine de passer attentivement en revue la séquence des conditions, des critères, des exigences et des retombées concrètes de leurs programmes. Négliger de le faire affecte des citoyens et des citoyennes, mais tout particulièrement les personnes les plus démunies.

Je vous présente maintenant les principaux constats qui découlent de nos enquêtes à la suite de divulgations d’actes répréhensibles commis ou sur le point de l’être à l’égard d’organismes publics. Nous constatons un bilan en augmentation du nombre de divulgations traitées par rapport à l’année précédente, soit 158 divulgations en 2018-2019. Ce nombre représentait 120 divulgations au cours de l’année précédente. Celles-ci ont mené à plusieurs vérifications et enquêtes, notamment en matière de manquements graves aux normes d’éthique et de déontologie, d’usage abusif de fonds ou de biens d’un organisme public et de cas grave de mauvaise gestion. Je rappelle aussi que nous traitons les plaintes de personnes qui se considèrent victimes de représailles à la suite de leur divulgation ou de leur collaboration à une vérification ou à une enquête. Je tiens à souligner qu’en toutes circonstances, nous prenons les mesures pour assurer la confidentialité des informations transmises et l’identité du lanceur d’alerte.

Pour terminer, permettez-moi de rappeler que l’année 2019 marque le 50e anniversaire du Protecteur du citoyen. Le 1er mai 1969, l’institution faisait ses débuts pour veiller au respect des droits des personnes dans leurs relations avec les services publics. Depuis ce jour, le Protecteur du citoyen a traité des centaines de milliers de plaintes. Mais au-delà du chiffre, je tiens surtout à dire que chaque cas est unique. J’insiste aussi sur le fait que nous ne laissons tomber personne. C’est pourquoi nous rappelons souvent que nos services sont gratuits, confidentiels et sans formalités compliquées.

Je vous remercie de votre attention et répondrai maintenant à vos questions.

Marie Rinfret, protectrice du citoyen