Allocution de la protectrice du citoyen au sujet du projet de loi no 83

  • 14 avril 2021
Corps

(La version lue fait foi)

Monsieur le Président de la Commission de la santé et des services sociaux,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs les députés membres de la Commission,

Je vous présente la personne qui m’accompagne : Mme Vicky Pageau, coordonnatrice aux enquêtes en santé et services sociaux et responsable de ce dossier.

Je remercie la Commission de la santé et des services sociaux d’avoir invité le Protecteur du citoyen à participer aux consultations sur le projet de loi no 83, Loi concernant principalement l’admissibilité au régime d’assurance maladie et au régime général d’assurance médicaments de certains enfants dont les parents ont un statut migratoire précaire

Je rappelle brièvement que le Protecteur du citoyen reçoit les plaintes de toute personne insatisfaite des services d’un ministère ou d’un organisme du gouvernement du Québec, ou encore d’une instance du réseau de la santé et des services sociaux. 

En plus de mener des enquêtes de sa propre initiative sur des situations préjudiciables à portée collective, le Protecteur du citoyen veille aussi à l’intégrité des services publics en traitant les divulgations qui s’y rapportent. Il participe ainsi à l’amélioration de la qualité et à l’intégrité des services publics.

Lorsqu’il le juge opportun et d’intérêt public, le Protecteur du citoyen propose des modifications à des projets de loi ou de règlement. C’est à ce titre que je présente aujourd’hui mes recommandations concernant le projet de loi no 83.

Je me permets d’abord de rappeler que le Protecteur du citoyen a, le 30 mai 2018, rendu public un rapport spécial intitulé : Donner accès au régime québécois d’assurance maladie aux enfants nés au Québec de parents au statut migratoire précaire. Ce rapport exposait la situation d’enfants qui, en raison du statut migratoire précaire de leurs parents, ne sont pas admissibles au régime public d’assurance maladie bien qu’ils soient nés au Québec, y demeurent de façon habituelle et y soient présents plus de 183 jours par année.

J’y recommandais que ces enfants, des citoyens canadiens, soient considérés comme admissibles. En effet, à notre avis, l’application des textes législatifs et réglementaires en vigueur, tels qu’ils sont rédigés, permettait déjà de distinguer le statut de l’enfant né au Québec de celui de ses parents aux fins de son admissibilité. Cette interprétation était d’ailleurs conforme à l’intention du législateur lorsqu'il a adopté la Loi modifiant la Loi sur l’assurance maladie et d’autres dispositions législatives, en 1999. Elle respectait également la Convention relative aux droits de l’enfant, à laquelle le Québec s'est déclaré lié par décret en 1991.

Malgré cette recommandation, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) a maintenu que la loi telle qu’elle est rédigée ne permettait pas de donner à ces enfants l’accès à des soins de santé et à des services sociaux.

Au printemps 2019, un comité interministériel a été mis sur pied à la demande de la ministre de la Santé et des Services sociaux alors en fonction. Ce comité avait pour mandat d’examiner les possibilités d’offrir une couverture de soins de santé aux enfants nés au Québec de parents au statut migratoire précaire.

En octobre 2020, la Commission de l’administration publique (CAP) a entendu la RAMQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) sur les actions entreprises en vue de répondre à la recommandation du Protecteur du citoyen. De ces auditions ont émané trois recommandations, dont celle que la RAMQ et le MSSS agissent le plus tôt possible afin d’octroyer aux enfants nés au Québec de parents au statut migratoire précaire l’accès au régime québécois d’assurance maladie.

Pour le Protecteur du citoyen, le projet de loi no 83 constitue une réponse claire d’acceptation, de la part du gouvernement, de la recommandation phare de notre rapport de 2018.

De plus, j’appuie aussi la proposition du projet de loi no 83 d’étendre à des enfants qui sont nés à l’extérieur du Québec l’admissibilité au régime d’assurance maladie ainsi qu’au régime général d’assurance médicaments. En effet, il fait en sorte que pourront être admissibles, à certaines conditions :

  1. Les enfants nés au Québec de parents au statut migratoire précaire qui prévoient demeurer au Québec pour une période de plus de 6 mois;
  2. Les enfants détenant une autorisation de séjour de plus de six mois au Québec; et,
  3. Les enfants nés hors du Québec lors d’un séjour avec leurs parents qui résident habituellement au Québec.

Ainsi, seuls les enfants qui ne sont pas nés au Québec et qui ne détiennent aucune autorisation de séjour sur le territoire, ne pourront bénéficier du régime d’assurance maladie ou du régime général d’assurance médicaments.

Considérant cela, il m'apparaît essentiel de mettre en place des mesures pour qu’un enfant qui a déposé une demande d’autorisation à se trouver sur le territoire canadien, et qui de ce fait serait admissible, reçoive dans des délais raisonnables les documents nécessaires pour en attester.

L’adoption de telles mesures est d’autant plus nécessaire que le Protecteur du citoyen a constaté que le ministère de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant d’émettre, par exemple, la confirmation qu’une demande officielle a été déposée par une personne pour être légalement autorisée à être sur le territoire canadien. À ces délais peut s’ajouter celui pour l’obtention de la décision de sélection du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).

Or, ces documents peuvent être nécessaires à la démonstration de l’admissibilité d’un enfant. Par conséquent, la personne qui ne reçoit pas le ou les documents requis pour faire cette démonstration n’a pas accès, pendant ce délai d’attente, au régime d’assurance maladie du Québec.

Or, l’accès au régime d’assurance maladie pour les enfants visés par le projet de loi no 83 doit être effectif, rapide et sans égard à la capacité des autorités provinciales et fédérales d’immigration à délivrer dans des délais raisonnables les documents requis pour en attester. Pour cette raison, je recommande d’ajouter au projet de loi no 83 une mesure législative afin que soient considérés comme provisoirement admissibles les enfants dont la régularisation du statut migratoire est en attente d’une réponse des autorités provinciales ou fédérales.

Je considère également que le texte du projet de loi no 83 doit être modifié pour clarifier certaines propositions législatives dont le libellé porte à confusion. Il est essentiel d’éviter de reproduire la situation qui prévaut actuellement, soit celle où des divergences dans l’interprétation des textes nous éloignent de l’objectif poursuivi.

Dans le cadre de notre analyse du projet de loi no 83, des difficultés d’interprétation de deux propositions législatives ont été constatées.  

Il découle en effet de la lecture combinée des articles 8 et 11 du projet de loi no 83 – qui viennent modifier des dispositions de la Loi sur l’assurance maladie du Québec et du Règlement sur l’admissibilité et l’inscription des personnes auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec – que tout enfant non domicilié au Québec devra démontrer son intention d’y résider en fournissant un document que seule une personne de nationalité canadienne serait en mesure de fournir. 

Cela constitue un non-sens. L’enfant qui n’a pas la citoyenneté canadienne et qui n’est pas déjà domicilié au Québec devrait plutôt avoir à présenter le document attestant de son statut sur le territoire ainsi qu’un document attestant de son intention d’y être domicilié.

Je recommande donc que des modifications soient apportées au projet de loi no 83 afin de clarifier quels documents il sera nécessaire de présenter à la RAMQ pour démontrer l’admissibilité d'un enfant au régime d’assurance maladie du Québec. 

En conclusion, en adoptant le projet de loi no 83, la société québécoise s’assurera d’offrir aux enfants visés, dès leur naissance ou dès leur arrivée au Québec, les soins de santé requis et des services sociaux adéquats. Pour ces jeunes, les conséquences physiques et psychologiques ne peuvent être que positives, tant au regard de leur développement que de leur intégration à l’école et à la communauté. D’un point de vue sociétal et de santé publique, il s’agit d’une avancée notable. 

Par ailleurs, l’application des dispositions de ce projet de loi sera guidée par des directives administratives qui restent à déterminer. Je tiens à souligner l’importance, lors de l’élaboration de ces directives, de respecter l’intention du législateur d’élargir à davantage d’enfants mineurs la couverture offerte par le régime d’assurance maladie du Québec. Il est en effet primordial d’éviter qu’elles restreignent, comme c’est actuellement le cas, l’admissibilité des enfants que le projet de loi no 83 vise à inclure.

Je vous remercie de votre attention. 

Marie Rinfret, protectrice du citoyen