Discours de la protectrice du citoyen à l'occasion du dépôt de son rapport annuel 2019-2020

  • 24 septembre 2020
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(La version lue fait foi)

Bonjour à tous et à toutes,

Merci de vous joindre à moi pour la présentation du Rapport annuel d’activités 2019-2020 du Protecteur du citoyen. Je suis accompagnée de Me Hélène Vallières, vice-protectrice – Affaires institutionnelles et prévention, et de M. Claude Dussault, vice-protecteur – Services aux citoyens et aux usagers.

En tout premier lieu, je veux souligner l’apport efficace et généreux du personnel du Protecteur du citoyen aux résultats que je présente aujourd’hui. Je continue de constater, après déjà trois ans en fonction, que je suis entourée d’une solide équipe, consciente de porter plus loin les valeurs de l’institution que sont la justice, l’équité, le respect, l’impartialité et la transparence. Je tiens à remercier sincèrement mon personnel.

La période couverte par ce rapport se termine le 31 mars 2020. On se souviendra qu’à cette date, nous étions aux prises avec la crise sanitaire due à la COVID-19 depuis presque trois semaines. Dans ce contexte inédit, j’ai pu compter sur l’agilité et l’ingéniosité de mon personnel pour réinventer nos façons de travailler et s’y adapter en un temps record. Un merci sincère à chacune et à chacun pour ce virage mis en place en mode accéléré et avec succès.

Avant d’aller plus loin, je tiens à dire que nos enquêtes nous amènent souvent à conclure que les services publics québécois répondent aux besoins de leur clientèle. Et quand ce n’est pas le cas, et que nous recommandons des correctifs, nous pouvons généralement compter sur la collaboration de nos interlocuteurs et interlocutrices à l’intérieur des organisations. Cela démontre, selon moi, une réelle volonté, tant chez les autorités que parmi le personnel, d’offrir des services tournés vers les personnes qui en sont la raison d’être.

Venons-en aux constats pour l’année 2019-2020.

Le Protecteur du citoyen, il est important de le rappeler, a compétence sur tous les ministères et la grande majorité des organismes du gouvernement du Québec. À cela s’ajoutent les établissements de détention et le réseau de la santé et des services sociaux. En matière d’intégrité publique, notre mandat est encore plus large et s’étend par exemple aux entreprises du gouvernement, aux services de garde subventionnés et au réseau de l’enseignement public.

C’est donc dire que les lacunes que révèlent nos enquêtes sont d’une grande diversité et les causes sous-jacentes également. Toutefois, plusieurs manquements ont ceci en commun : ils résultent de problèmes connus depuis longtemps et qui stagnent en dépit des engagements des autorités à analyser les faits et, le cas échéant, à apporter des solutions. J’aimerais qu’on retienne de ce rapport annuel d’activités que le passage à l’action est trop souvent reporté quand il s’agit d’améliorer les services publics.

Entendons-nous bien. Qu’il s’agisse de réformes ou de correctifs dans les programmes publics, les décisions des autorités doivent reposer sur des analyses fouillées. Mais qu’en est-il des conclusions rigoureuses de comités internes, de groupes d’experts, de tables interministérielles, ou même de commissions d’enquête qui tardent à livrer leurs résultats pendant des mois, voire des années? Certains ne mènent jamais aux avancées nécessaires.

Dans l’intervalle, des personnes, parfois parmi les plus démunies, subissent les conséquences des délais ou, pire encore, de l’abandon du projet. Or, en pareil cas, les lacunes ont été décelées, décrites, dénoncées. Les solutions sont identifiées, approuvées, planifiées. Les autorités en sont au stade de passer à l’action.

Et puis, le temps passe. Rien ne bouge.

Je vous donne des exemples.

Le monde scolaire québécois s’est doté d’un mécanisme de traitement des plaintes. Sa procédure est lourde, elle comporte trop d’étapes et elle n’est pas assez transparente. En 2017, le Protecteur du citoyen a publié un rapport spécial à ce sujet. Par la suite, le ministère a fait savoir que des travaux étaient en cours pour déposer, au plus tard en décembre 2019, un projet de loi qui faciliterait le traitement des plaintes et préciserait le cadre juridique de l’institution du protecteur de l’élève au Québec. À ce jour, aucun projet de loi n’a été présenté. Pourtant, bien des améliorations auraient déjà pu être au mécanisme de traitement des plaintes par la voie administrative tout simplement.

Autres secteurs : en 2018, après avoir suspendu temporairement la réception des demandes de parrainage de personnes réfugiées, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a annoncé qu’il les recevrait de nouveau, par messagerie, le 17 septembre 2018. Or, étant donné l’affluence et le manque de planification, l’opération a donné lieu à une désorganisation totale de la file d’attente. Le cafouillage a compromis, pour plusieurs personnes qui avaient attendu leur tour, la possibilité d’acheminer leur demande. Le Protecteur du citoyen a alors recommandé au Ministère de modifier ses façons de faire. Dix-huit mois plus tard, soit le 20 janvier 2020, fort d’une expérience qui avaient pourtant connu des ratés importants, le Ministère n’a rien changé dans ses façons de faire. Sans grande surprise, des débordements similaires ont eu lieu.

Dans les établissements de détention, la responsabilité des soins de santé est passée du ministère de la Sécurité publique au ministère de la Santé et des Services sociaux presque partout au Québec. C’était une de nos recommandations en 2011. Depuis lors, là où le transfert est effectué, on constate que les soins sont mieux donnés. Toutefois, le gouvernement tarde toujours à instaurer ce transfert dans deux établissements. Ce sont les établissements de Québec et de Montréal qui, à eux seuls, regroupent 40 % de la clientèle carcérale. Quand compte-t-on agir concrètement dans ces deux endroits?

Des enfants d’âge préscolaire qui ont des problèmes de langage reçoivent des services spécialisés du ministère de la Santé et des Services sociaux jusqu’au jour où ils entrent à l’école. À compter de ce moment-là, le réseau de l’éducation est supposé prendre le relais. Mais cela ne se fait pas vraiment parce que les services perdent alors beaucoup de leur intensité, ou prennent fin, faute de ressources. En cours d’année, le ministère de la Santé et des Services sociaux a accepté d’analyser la situation. Depuis lors, aucun progrès.

L’accès à un médecin de famille est une autre problématique qui n’est toujours pas réglée. Des personnes s’inquiètent de rester sur des listes d’attente pendant plus d’un an, parfois deux.

Ce sont là quelques exemples parmi d’autres.

À l’opposé, si on veut parler d’un passage à l’action, je salue l’adoption du projet de loi no 55, le 12 juin dernier. Cette loi abolit tout délai de prescription pour intenter des poursuites au civil pour des cas d’agression sexuelle, de violence durant l’enfance et de violence conjugale.

Le Protecteur du citoyen avait recommandé qu’il n’y ait plus de délai de prescription, principalement parce que les victimes de violence peuvent mettre beaucoup de temps avant de réaliser les séquelles qu’elles en gardent, physiquement et psychologiquement. De plus, la perspective d’affronter leur agresseur pendant un procès peut être un autre frein à toute action en cour, pendant des décennies.

Le fait d’être passé aux actes signifie que grâce à cette nouvelle loi, des victimes de violence autrefois contrecarrées dans leurs démarches en raison du passage des années pourront obtenir justice.

Je veux revenir brièvement sur des événements qui continuent de nous affecter, tous et toutes, soit la crise de la COVID-19. Comme je vous le disais il y a quelques instants, le présent rapport annuel en couvre les débuts au mois de mars dernier.

Entre autres drames, le coronavirus s’est particulièrement propagé dans les milieux de vie collectifs pour les personnes âgées, surtout les CHSLD de la région montréalaise. On a alors pointé du doigt la pénurie de personnel, l’épuisement des effectifs, le manque d’intervenants qualifiés et la vétusté des lieux.

Ces problèmes se sont manifestés plus durement que d’habitude, mais ils existaient auparavant et avaient souvent été rapportés au cours des décennies précédentes. Pour notre part, au terme d’enquêtes sur le terrain, nous avons publié plusieurs rapports au sujet des atteintes à la dignité des résidentes et des résidents en perte d’autonomie qui vivent dans ces ressources.

Force est donc d’admettre, pour les hautes autorités gouvernementales et pour le réseau de la Santé et des Services sociaux, que l’alarme avait été donnée à de nombreuses reprises. Malheureusement, les solutions à apporter pour fournir aux personnes aînées un milieu de vie et de soins répondant à leurs besoins avaient été remises à plus tard.

Je résume : après les analyses et les constats, il faut convenir à un certain moment que tout a été dit. Tout est connu. Tout est en place pour passer à l’action.

Alors, comme administration responsable, il faut passer des intentions aux actes.

Pour terminer, je ne saurais formuler de telles attentes sans tenter d’en faire au Protecteur du citoyen notre ligne de conduite. Le rapport annuel d’activités et le rapport annuel de gestion que je dépose aujourd’hui sont, je le souhaite, le reflet de nos efforts en ce sens.

Merci de votre attention. Je répondrai maintenant à vos questions.

Marie Rinfret, protectrice du citoyen