Allocution de la protectrice du citoyen sur le projet de loi n° 9 devant la Commission des relations avec les citoyens

  • 27 février 2019
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La version lue fait foi

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion,
Mesdames, Messieurs les Députés membres de la Commission des relations avec les citoyens,

Permettez-moi de vous remercier d’avoir accepté la demande du Protecteur du citoyen d’être entendu sur le projet de loi n° 9.

Le Protecteur du citoyen est un ombudsman impartial et indépendant qui veille au respect des personnes dans leurs relations avec les services publics. Nous avons quatre mandats distincts. Je vous les décris brièvement :

  • D’abord, nous agissons pour prévenir et corriger des situations de non respect des droits, d’abus, de négligence, d’inaction ou d’erreurs commises par un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec.
  • Nous intervenons également auprès du réseau de la santé et des services sociaux, en deuxième recours après le commissaire aux plaintes et à la qualité des services. Nous agissons en premier recours à la suite d’un signalement par une tierce personne.
  • À titre d’ombudsman correctionnel du Québec, nous recevons les plaintes des personnes incarcérées dans l’un des 17 établissements de détention sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique.
  • Et enfin, depuis mai 2017, nous traitons les divulgations d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics et les plaintes en cas de représailles liées à ces divulgations.

Nos services sont gratuits et nous agissons confidentiellement.

Le Protecteur du citoyen peut aussi, lorsqu’il le juge conforme à l’intérêt général, commenter les projets de loi présentés à l’Assemblée nationale et, lorsqu’il l’estime opportun, proposer des modifications. C’est dans ce contexte que nous nous présentons devant vous aujourd’hui.

D’entrée de jeu, le Protecteur du citoyen souscrit aux objectifs du projet de loi n° 9, Loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes. Ces objectifs consistent notamment à assurer une meilleure adéquation entre l’immigration économique et les besoins de main-d’œuvre du Québec. Le projet de loi devrait aussi permettre d’améliorer les délais de traitement des demandes et de régler le problème de l’inventaire des dossiers.

À cet égard, déjà dans son rapport annuel 2016-2017, le Protecteur du citoyen sonnait l’alarme : qu’adviendra-t-il, demandions-nous alors, des 10 000 demandes reçues en ligne à l’été 2016 par le nouveau portail Mon projet Québec et toujours non traitées au 31 mars 2017, ainsi que des 21 000 demandes, en format papier, reçues avant le 31 décembre 2015?

Plus tard, soit en janvier 2018, le compte n’était guère plus encourageant : 24 000 dossiers en inventaire. Au 30 septembre de la même année, on en était à près de 20 000 dossiers. Au fil des ans, le Ministère avait reçu trop de demandes d’immigration eu égard aux cibles fixées.

Or, aujourd’hui, comme suite des choses et parallèlement à la mise en place d’un nouveau système basé sur la déclaration d’intérêt des candidats et des candidates, appelé ARRIMA, le ministre fait face à une situation critique : le traitement de 18 000 dossiers, soumis il y a parfois plusieurs années, n’a jamais été complété.

On peut saluer la volonté du ministre de vouloir résoudre ce problème d’inventaire. Toutefois, face à des candidatures d’immigration qui sont avant tout des projets de vie, le ministre adopte une seule approche : la suppression des dossiers et un remboursement partiel des frais encourus par les candidats et candidates. Il s’agit selon moi d’une solution essentiellement administrative pour un problème humain.

L’article 20 du projet de loi n° 9 précise en effet qu’il « est mis fin à toute demande présentée au ministre dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés avant le 2 août 2018 si, – à la date de la présentation du projet de loi, le 7 février 2019 –, il n’a pas pris de décision de sélection, de refus ou de rejet concernant cette demande ». L’article prévoit le remboursement, sans intérêts, des droits exigibles.

Pour moi, nous sommes clairement dans une opération de contrôle des dommages. Or, à défaut de faire mieux, le contrôle des dommages devrait consister à tenter, avec empathie et équité, de limiter des dégâts dont on est forcé de reconnaître la gravité. Nous sommes ici dans l’atténuation des inévitables conséquences négatives.

Ceci m’amène à partager avec vous ce qui me préoccupe le plus : quels seront, au regard de cet article 20, les impacts et les préjudices pour les quelque 45 000 personnes visées par les 18 000 dossiers dont l’étude n’aurait pas été complétée, mais plus particulièrement pour les quelque 6 000 personnes qui vivent au Québec et dont la demande n’a toujours pas fait l’objet d’une décision de sélection du Ministère?

Si l’article 20 du projet de loi n° 9 affectera l’ensemble des personnes et des familles qui projetaient de venir faire leur vie au Québec, il aura un impact encore plus considérable pour les personnes qui y habitent, qui y ont intégré le marché du travail et qui participent activement à la société québécoise.

Depuis la présentation du projet de loi n° 9, le Protecteur du citoyen a reçu de nombreuses plaintes qui reflètent l’inquiétude de gens qui habitent au Québec et qui appréhendent les effets de la nouvelle législation sur eux et sur leur famille.

Pour bien illustrer la réalité que peuvent vivre ces personnes, j’aimerais vous donner deux exemples de plaintes que nous avons reçues depuis le 7 février 2019, date de la présentation du projet de loi :

  1. Un candidat, arrivé au Québec il y a trois ans, a une offre d’emploi validée par un employeur dans un secteur d’activité où il y a une pénurie de main-d’œuvre. Son permis de travail expire en octobre 2019. Il s’est plaint à nous parce qu’il craint de devoir quitter le Québec.
  2. Un autre détient un diplôme universitaire du Québec. Il a suivi des cours de français, mais il n’atteint pas encore le seuil minimal pour être admissible au Programme de l’expérience québécoise. Son permis de travail expire lui aussi à l’automne prochain. S’il n’obtient pas son certificat de sélection, il devra quitter le Québec.

Je rappelle ici que les règles de délivrance des permis de travail relèvent du gouvernement fédéral et que le renouvellement de celui-ci est habituellement conditionnel à la détention d’un certificat de sélection du Québec.

Malgré que le Ministère dirige les candidats déjà en sol québécois vers le Programme d’expérience québécoise, ce programme n’offre pas une solution pour tous et toutes, et ce, pour les raisons suivantes :

  1. Il exige notamment une connaissance du français oral de niveau intermédiaire avancé. De nombreux candidats, dont un grand nombre sont des diplômés du Québec, n’atteignent pas encore ce niveau de maîtrise de la langue.
  2. Pour les travailleurs temporaires étrangers, le même programme exige d’avoir occupé un emploi à temps plein pendant 12 des 24 derniers mois.
  3. Quant aux travailleurs autonomes, ils en sont exclus. Ces candidats pourraient se tourner vers le Programme des travailleurs autonomes. Mais les exigences financières de ce programme, en termes de dizaines de milliers de dollars, pourraient ne pas être à la portée de tous.

En conséquence, le Protecteur du citoyen recommande :

  • Que l’article 20 du projet de loi n° 9 soit modifié afin de prévoir que le premier alinéa ne s’applique pas aux demandes faites par des personnes qui habitent au Québec;
  • Que le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion donne priorité à ces demandes et les traite dans les plus brefs délais.

Parlons maintenant des autres dossiers, soit les 14 300 demandes concernant un peu plus de 39 000 personnes qui projetaient de venir vivre au Québec.

Nous faisons face ici à un problème causé notamment par l’écart entre les cibles ministérielles retenues et le nombre de demandes reçues. Concrètement, si les 14 300 demandes de personnes ne vivant pas au Québec devaient être étudiées selon un mode accéléré, nombre de gens se qualifiant aux fins d’un programme ne pourraient quand même pas y être admis, étant donné l’atteinte du seuil maximal du nombre de personnes acceptées annuellement.

Il en résulte qu’advenant l’adoption du projet de loi n° 9, il serait selon moi plus équitable pour les candidats et candidates toujours intéressés à immigrer au Québec d’être remboursés, avec intérêts, pour les frais de leur demande initiale. De plus, le remboursement proposé devrait comprendre les sommes déboursées par ces personnes à l’appui de leur demande pour passer les tests de compétences linguistiques.

En conséquence, le Protecteur du citoyen recommande  :

  • Que le deuxième alinéa de l’article 20 du projet de loi n° 9 soit modifié pour prévoir :
    – que le remboursement des droits exigibles payés par le demandeur porte intérêt selon le taux légal; et
    – que le coût des tests linguistiques reconnus par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion soit remboursé aux demandeurs dont le dossier est supprimé.

Je considère également comme allant de soi que tous les candidats et candidates à l’immigration dont le dossier serait supprimé reçoivent du Ministère une lettre signée. Celle-ci leur expliquerait le contexte, soit la réception d’un trop grand nombre de demandes au regard des cibles ministérielles. Elle exprimerait aussi les regrets de l’Administration de procéder à la suppression des dossiers. En pareil cas, les excuses sont bien peu de chose, mais elles peuvent témoigner que nous ne sommes pas indifférents, comme terre d’accueil, aux espoirs de ceux et de celles qui s’adressent à nous.

De plus, tenant compte des nombreuses démarches que les personnes ont eu à effectuer pour constituer leur dossier de candidature, et des frais associés, il m’apparaît essentiel que le Ministère retourne à chacun et à chacune tout document en format papier qui a été produit à l’appui de leur demande. La même lettre les invitera à déposer, s’ils le souhaitent, une nouvelle demande par l’intermédiaire du système ARRIMA.

En conséquence, le Protecteur du citoyen recommande :

  • Que le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion transmette une lettre à chaque requérante ou requérant principal afin :
    – d’expliquer le contexte de la suppression des dossiers;
    – de présenter les excuses du Ministère;
    – de décrire les différentes étapes de présentation d’une nouvelle demande par l’entremise du système de gestion des demandes ARRIMA; et
    – de retourner tout document en format papier produit par la personne en appui à sa précédente demande d’immigration.

Pour conclure, j’ai pris note, lors des remarques préliminaires, de l’engagement selon lequel le nouveau système ARRIMA devrait permettre de traiter, dans un délai de six mois, les candidatures des personnes invitées à déposer une demande de certificat de sélection du Québec. Soyez assurés que je suivrai attentivement l’atteinte de cette cible.

Je vous remercie de votre attention.