Allocution de la Protectrice du citoyen sur la gestion de la crise de la listériose associée aux fromages québécois
Conférence de presse
Raymonde Saint-Germain
Protectrice du citoyen
2 juin 2009
En septembre 2008, j’ai décidé d’entreprendre une enquête spéciale sur la gestion de la crise de la listériose associée aux fromages québécois parce que plusieurs questions étaient soulevées et demeuraient sans réponse. Cette enquête avait trois objectifs :
- Le premier : déterminer si les ministères concernés, soit Santé et Services sociaux et Agriculture, Pêcheries et Alimentation ont géré adéquatement les impératifs de santé publique avec des moyens appropriés et raisonnables.
- Le deuxième : vérifier si la gestion de la crise a été réalisée dans le respect des normes en vigueur dans les cas de toxi-infections alimentaires.
- Le troisième : estimer si le MAPAQ, qui a aussi le rôle de soutenir l’industrie agro-alimentaire, avait évalué l’impact des mesures qu’il a prises sur les exploitants touchés.
Voici les réponses que cette enquête nous permet d’apporter pour chacune des questions.
Sur le plan de la santé publique, l’intervention du ministère de la Santé et des Services sociaux était-elle adéquate?
Réponse : Oui. Pour un adulte en santé, la listériose n’occasionne généralement pas de problèmes graves. Elle peut toutefois être dangereuse pour certains groupes à risque, dont les femmes enceintes, des personnes âgées et des personnes avec un système immunitaire affaibli. Il était donc important d’agir rapidement parce que l’on constatait une augmentation rapide et imprévue du nombre de personnes atteintes et que les analyses de laboratoires confirmaient un lien entre ces cas. Il y avait éclosion.
Le MAPAQ a-t-il eu raison de procéder à l’élimination des fromages ayant fait l’objet de rappels ainsi que des produits susceptibles d’être entrés en contact avec ces fromages?
L’opération d’élimination massive des fromages portionnés chez les détaillants était justifiée en raison :
- de l’augmentation rapide du nombre de personnes contaminées à la listériose;
- du fait que de la Listeria (la bactérie qui cause la listériose) de même souche avait été trouvée dans des meules de fromage intactes provenant de deux usines québécoises faisant affaire avec la même entreprise qui distribuait les fromages auprès de plus de 300 commerces de détail;
- du fait que des analyses démontraient une contamination croisée chez plusieurs commerces. Ainsi, les fromages pasteurisés autant que les fromages au lait cru ou les charcuteries pouvaient être contaminés.
N’y avait-il pas d’autres options?
Avant de conclure du bien-fondé de l’option retenue par le MAPAQ, nous en avons étudié une autre, soit la mise sous saisie des fromages le temps de procéder à des tests. Elle ne s’est pas avérée concluante parce que :
- pour établir un programme d’échantillonnage représentatif, il aurait fallu analyser au moins 15 échantillons de fromages et d’environnement dans quelque 300 commerces de vente au détail. Or, il était impossible d’analyser près de 4 500 échantillons simultanément en laboratoire;
- malgré la prise d’échantillons, il y avait un risque que la Listeria soit toujours présente dans les comptoirs de vente ou dans certains fromages. Un seul fromage contaminé pouvait contaminer d’autres aliments et l’environnement du commerce de détail. L’éclosion aurait ainsi pu se poursuivre plus longtemps.
Y a-t-il eu des lacunes dans la gestion de cette crise?
Réponse : OUI. Nous avons constaté des manquements du MAPAQ, dont les suivants :
- des lacunes dans les méthodes d’enquête lors des toxi-infections alimentaires (par exemple, avoir pris seulement des échantillons de fromages portionnés au lieu de meules intactes). Ces lacunes ont entraîné des rappels prématurés, avant même d’avoir identifié la source de contamination;
- des lacunes dans la procédure de gestion de crise, notamment dans l’évaluation des risques;
- le non-respect par le MAPAQ de ses propres normes d’intervention;
- une procédure d'enquête et d'échantillonnage déterminée au cas par cas, non uniforme et systématique;
- l'absence d’un plan de communication adapté à la situation, ni pour l’industrie, ni pour la population;
- la considération et la gestion tardive des aspects économiques de cette crise.
Avant la crise, l’inspection régulière des usines était-elle adéquate?
Réponse : NON
- Entre autres, le MAPAQ n’inspectait pas assez régulièrement les usines de transformation de fromage au lait cru et thermisé (en septembre 2008, 30 % des usines n’avaient pas été visitées depuis au moins un an).
- L’information donnée aux entreprises, tant les producteurs que les détaillants, était incomplète et insuffisante.
- Les entreprises qui procédaient elles-mêmes à des tests voyaient leurs registres vérifiés seulement lors de ces inspections.
- Les inspecteurs du MAPAQ qui assuraient le suivi auprès de ces usines n’ont pas tous reçu une formation spécialisée qui tenait compte de la complexité des procédés de fabrication propre à cette industrie.
- Chez les détaillants, le MAPAQ ne tenait pas compte, dans les bonnes pratiques recommandées, du risque de contamination croisée entre les aliments prêts à consommer.
Faut-il compenser ou aider autrement les fabricants?
Réponse : OUI, mais de manière ciblée et à certaines conditions. Il y a lieu d’apporter un soutien financier ponctuel aux usines de transformation de fromage au lait cru et thermisé sous la responsabilité du MAPAQ afin qu’elles puissent adapter, le plus rapidement possible, leur processus de production aux nouvelles exigences en matière de contrôle microbiologique. En effet, le Ministère, depuis cette crise, a imposé des exigences plus strictes à cette industrie, sans lui apporter le support technique et financier requis. Des inspections auparavant prévues chaque année sont maintenant réalisées chaque mois. Un soutien, notamment par des documents et guides de référence, est donc nécessaire aux entreprises pour qu’elles puissent s’adapter. Il s’agit dans plusieurs cas d’usines artisanales qui peuvent éprouver des difficultés à financer les mises à niveau rendues nécessaires par l’augmentation rapide des contrôles exercés par le MAPAQ depuis la crise.
Spécifiquement, je recommande de plus une compensation sur la base de l’équité pour deux entreprises qui ont vécu une situation particulière résultant de l’action du MAPAQ: la « Société coopérative agricole de l’Île-aux-Grues » et la « Fromagerie Blackburn ». Ces deux entreprises ont fait l’objet de rappels, ont donc été identifiées publiquement, sur la base d’une enquête partielle et de données incomplètes. Certains de leurs produits ont été reliés à tort comme cause de l’éclosion de listériose puisqu’ils avaient été contaminés au commerce de détail et non à l’usine, ce qui a créé une situation inéquitable pour elles et a vraisemblablement pu leur causer préjudice.
Voilà pour les fabricants. Maintenant qu’en est-il des détaillants?
Le Plan de développement et de croissance du secteur des fromages fins québécois, annoncé le 3 octobre 2008 par le MAPAQ, prévoit une aide pour que les détaillants puissent faire face aux conséquences de la crise de listériose. Pour mesurer à ce stade-ci l’adéquation de cette aide par rapport aux besoins, je recommande au MAPAQ d’obtenir une évaluation indépendante de ce programme afin de s’assurer qu’il réponde adéquatement aux objectifs de soutien énoncés dans sa loi constitutive et sa mission.
Conclusion
Je formule 12 recommandations au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation afin que ses mécanismes de prévention, ses plans d’intervention, dont son soutien à l’industrie et sa gestion des toxi-infections alimentaires soient améliorés. Deux recommandations concernent également le ministère de la Santé et des Services sociaux. Je suis confiante que ces recommandations, qui découlent d’une enquête rigoureuse et impartiale, seront bien accueillies par les ministères concernés et qu’elles seront mises en œuvre dans le meilleur intérêt de la population et de l’industrie fromagère.