(La version lue fait foi)
Madame la Présidente de la Commission des relations avec les citoyens,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs les députés membres de la Commission,
Je vous présente la personne qui m’accompagne : Mme Chloé Corneau, coordonnatrice aux enquêtes en administration publique et responsable de ce dossier. J’aimerais également souligner l’étroite collaboration dans ce dossier de Mme Natacha Tanguay, conseillère aux relations avec les Premières nations et les Inuit au Protecteur du citoyen, qui n’est pas avec moi aujourd’hui.
Je remercie la Commission des relations avec les citoyens d’avoir invité le Protecteur du citoyen à participer aux consultations sur le projet de loi no 79, Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement.
Je rappelle brièvement que le Protecteur du citoyen reçoit les plaintes de toute personne insatisfaite des services d’un ministère ou d’un organisme du gouvernement du Québec, ou encore d’une instance du réseau de la santé et des services sociaux. Il veille aussi à l’intégrité des services publics en traitant les divulgations qui s’y rapportent.
Lorsqu’il le juge opportun et d’intérêt public, le Protecteur du citoyen propose des modifications à des projets de loi ou de règlement. C’est à ce titre que je présente aujourd’hui à cette commission mes commentaires et ma recommandation concernant le projet de loi no 79.
Du fait de son mandat, le Protecteur du citoyen accorde une attention particulière aux personnes susceptibles de vivre des situations de vulnérabilité ou d’iniquité. Alors qu’il est ici question d’événements douloureux touchant des personnes – et particulièrement des enfants et des familles – issues des Premières nations et Inuit, l’existence de telles situations vécues par ces communautés ne peut être ignorée. Le rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (Commission Viens) et celui de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), auquel il fait écho, en ont d’ailleurs fait état ces dernières années.
Soulignons d’abord que le projet de loi no 79 reprend des amendements qui avaient été introduits au projet de loi no 31, Loi modifiant principalement la Loi sur la pharmacie afin de favoriser l’accès à certains services au moment de son étude détaillée. Ces amendements introduisaient de nouveaux articles autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission dans un établissement de santé et modifiaient du même coup le titre du projet de loi pour refléter cet ajout. En a résulté un projet de loi hybride : Loi modifiant principalement la Loi sur la pharmacie afin de favoriser l’accès à certains services et autorisant la communication de renseignements personnels concernant certains enfants autochtones disparus ou décédés à leur famille.
L’ajout des articles 5.1 à 5.6 au projet de loi no 31 visait à répondre à l’appel à la justice no 20 du rapport complémentaire sur le Québec de l’ENFFADA, qui demandait au gouvernement du Québec « de remettre aux familles autochtones toutes les informations dont il dispose concernant les enfants qui leur ont été enlevés suite à une admission dans un hôpital ou tout autre centre de santé au Québec ».
Le 19 décembre 2019, je suis intervenue au sujet du projet de loi no 31. J’ai alors salué la volonté du gouvernement du Québec, ainsi que celle des députés de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale, de se mettre rapidement en mouvement pour répondre à cet appel.
Néanmoins, je regrettais que cette volonté de procéder rapidement ait eu pour conséquence de ne pas permettre aux Premières Nations et aux Inuit ainsi qu’à leurs représentants, représentantes ou à toute autre instance, comme le Protecteur du citoyen, d’être entendus par les parlementaires sur ces propositions législatives de nature extrêmement sensible pour les familles concernées.
J’avais alors formulé six recommandations, qui se résument essentiellement en trois demandes :
- Premièrement, que les articles en cause soient retirés et qu’un projet de loi distinct soit présenté, après consultation des Premières Nations et des Inuit, pour répondre adéquatement à leurs besoins et à l’appel à la justice no 20 du rapport complémentaire sur le Québec de l’ENFFADA.
- Deuxièmement, que le nouveau mécanisme d’accès aux renseignements personnels fasse preuve d’accessibilité, de transparence et d’imputabilité, en prévoyant notamment un recours en révision à la Commission d’accès à l’information, un régime d’examen des plaintes et une reddition de compte annuelle.
- Troisièmement, que l’accès aux renseignements personnels pour les familles visées soit facilité par une campagne de communication au sujet du nouveau mécanisme d’accès et par un accompagnement des familles qui soit culturellement sécurisant.
Les amendements au projet de loi no 31 ont été retirés au moment de l’adoption finale de ce dernier, le 17 mars 2020.
J’accueille aujourd’hui favorablement le projet de loi no 79, qui répond aux recommandations que j’ai formulées en 2019 ainsi qu’à l’appel à la justice no 20 du rapport complémentaire sur le Québec de l’ENFFADA.
Rappelons qu’il est ici question de rendre accessibles des renseignements personnels, notamment détenus par les établissements de santé, concernant des enfants disparus ou décédés. Le projet de loi no 79 ayant pour objectif de permettre aux familles endeuillées de faire la lumière sur les faits entourant ces disparitions, il est impératif que la solution qu’il propose tienne réellement compte de leurs besoins. À ce chapitre, je suis satisfaite que la contribution des représentants et des représentantes des communautés autochtones soit sollicitée à l’égard d’un projet de loi qui aborde de façon spécifique une réalité dont elles seules peuvent prendre la pleine mesure. Cela leur donne la voix qui leur revient, au moment opportun, dans le cadre de ces travaux parlementaires.
Toutefois, je réitère l’objection émise lors de mon intervention sur le projet de loi no 31 quant à l’imposition d’une limite de cinq ans au dépôt d’une demande de renseignements relatifs à un enfant autochtone disparu ou décédé. S’il est un domaine où le facteur temps doit être aboli, c’est bien dans ce contexte précis où la souffrance s’étale dans le temps et fige souvent la capacité des familles endeuillées à entreprendre des démarches administratives.
Compte tenu de l’objectif visé par ce projet de loi, le Protecteur du citoyen soutient que la possibilité d’avoir accès aux informations relatives à un enfant autochtone disparu ou décédé ne devrait pas être limitée dans le temps. Le mécanisme d’accès aux renseignements personnels proposé aux familles doit envoyer un message sans équivoque qui affirme la volonté du gouvernement du Québec de participer activement au processus de réconciliation, et ce, de façon pérenne. J’en fais donc une recommandation.
De plus, je tiens à souligner l’importance, dans ce dossier, d’encadrer ce mécanisme d’accès à l’information de mesures culturellement adaptées pour accompagner les familles concernées.
Les directives administratives qui permettront l’application de ce projet de loi n’ont pas encore été élaborées et le Protecteur du citoyen demeurera vigilant afin de s’assurer qu’elles facilitent l’accès à l’information. Conformément à son mandat, le Protecteur du citoyen pourra traiter certaines plaintes relatives à une décision découlant de ce mécanisme. Dans tous les cas, les personnes insatisfaites des services rendus peuvent toujours se tourner vers le Protecteur du citoyen, qui saura les diriger vers la bonne ressource, le cas échéant.
En conclusion, le Protecteur du citoyen estime que le projet de loi no 79 est un pas dans la bonne direction vers une plus grande ouverture aux besoins particuliers des personnes issues des Premières nations et Inuit et de leurs communautés. L'on ne peut qu’espérer que ce projet de loi visant à amoindrir la douleur des personnes touchées par la disparition d’un enfant soit une mesure parmi plusieurs autres à venir qui, sans pouvoir corriger les erreurs du passé, permettront à notre société de bâtir un futur plus inclusif et solidaire.
Je vous remercie de votre attention.
Marie Rinfret, protectrice du citoyen