Allocution de la protectrice du citoyen sur le projet de loi n° 8 devant la Commission des institutions

  • 21 février 2019
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(La version lue fait foi)

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mesdames, Messieurs les Députés membres de la Commission,

Je vous présente les personnes qui m’accompagnent, M. Claude Dussault, vice-protecteur – services aux citoyens et aux usagers, et Mme Chloé Corneau, déléguée aux enquêtes au Protecteur du citoyen.

Permettez-moi d’abord de remercier la Commission des institutions pour son invitation à commenter le projet de loi n° 8. La juste indemnisation dans des délais raisonnables des personnes victimes de sinistres est un dossier qui me tient à cœur, tout comme vous. C’est pourquoi j’estime important de vous faire connaître le point de vue du Protecteur du citoyen.

Je me permettrai d’entrée de jeu de présenter rapidement le rôle et le mandat de l’institution que je représente, ceci afin de bien situer notre intervention et les objectifs que nous poursuivons aujourd’hui.

Le Protecteur du citoyen est un ombudsman impartial et indépendant. À ce titre, nous avons quatre mandats distincts :

  • D’abord, nous agissons pour prévenir et corriger des situations de non-respect des droits, d’abus, de négligence, d’inaction ou d’erreurs commises par un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec.
  • Nous intervenons également auprès du réseau de la santé et des services sociaux, en deuxième recours après le commissaire aux plaintes et à la qualité des services ou en premier recours à la suite d’un signalement par une tierce personne.
  • À titre d’ombudsman correctionnel du Québec, nous recevons aussi les plaintes des personnes incarcérées dans l’un des 17 établissements de détention sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique du Québec.
  • Et enfin, depuis mai 2017, nous traitons les divulgations d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics et les plaintes en cas de représailles liées à ces divulgations.

Dans le cadre de ses enquêtes sur plainte ou signalement ou encore de sa propre initiative, le Protecteur du citoyen dispose des pouvoirs de commissaire enquêteur. Cela signifie que nous avons accès à toute personne et à tout document utile à nos travaux.

Nos services sont gratuits, sans formalités, et nous agissons confidentiellement.

Le Protecteur du citoyen peut aussi, lorsqu’il le juge conforme à l’intérêt général, commenter les projets de loi présentés à l’Assemblée nationale et, lorsqu’il le juge opportun, proposer des modifications. C’est dans ce contexte que nous nous présentons devant vous aujourd’hui.

J’aimerais maintenant partager avec vous les constats du Protecteur du citoyen dans le cadre du traitement des plaintes reçues à la suite de sinistres.

On se souviendra notamment des inondations printanières de 2017 survenues dans plusieurs régions du Québec. Plus de 6100 demandes d’aide financière ont été reçues par le ministère de la Sécurité publique et 4000 personnes ont dû être évacuées.

Le Protecteur du citoyen a reçu plusieurs plaintes de personnes sinistrées insatisfaites du traitement de leur demande. Un total de 234 plaintes ont été traitées par le Protecteur du citoyen depuis les évènements. De ce nombre, 34 % des plaintes étaient fondées.

Les plaintes fondées portaient sur :

  • les délais de traitement (38 %);
  • le montant de l’aide financière versée (34 %); et
  • le traitement des dossiers (13 %).

Ces délais et erreurs dans le traitement des demandes financières pénalisent lourdement les personnes sinistrées et, dans certains cas, leur famille.

Concrètement, au terme de l’analyse de ces plaintes, le Protecteur du citoyen a constaté de longs délais à toutes les étapes du traitement des demandes d’aide financière, c’est-à-dire au niveau :

  • de l’admissibilité des demandes;
  • de l’évaluation des dommages par un expert en sinistre;
  • du traitement des soumissions et des factures;
  • du versement des avances de fonds; ou
  • du versement final de l’aide financière.

Par exemple, le ministère de la Sécurité publique s’engage, dans sa déclaration de service aux citoyens, à transmettre un avis d’admissibilité dans les 90 jours suivant la réception par ses services de la demande d’aide financière. Or, le Protecteur du citoyen a souvent constaté que le délai réel allait bien au-delà de cet engagement. Pour la majorité des personnes, le simple fait de subir un sinistre est déjà une source d’insécurité importante. Si on ajoute à cela des mois d’attente, voire dans certains cas une année, pour obtenir une décision quant à l’admissibilité d’une réclamation, ces délais augmentent évidemment l’insécurité chez les personnes sinistrées. Celles-ci doivent attendre une décision avant d’entreprendre quelque démarche que ce soit.

Dans certains cas, les retards aggravent les préjudices subis à leurs biens matériels, tout en perturbant leur vie quotidienne. Je pense ici aux personnes hébergées à l’hôtel avec leur famille pendant – je me permets de le redire – des mois, voire plus d’un an.

Concernant les erreurs dans le traitement des demandes d’aide financière, le Protecteur a constaté des pertes de documents, des absences de suivi auprès des personnes sinistrées et des non-retours d’appels.

D’autres erreurs – notamment de calcul – ont été constatées dans le versement des avances de fonds et dans les montants de l’aide financière versée. Le Protecteur du citoyen a observé que plusieurs personnes sinistrées victimes de ces erreurs se sont retrouvées dans une situation financière précaire. Certaines n’ont pu réaliser les travaux de réparation de leur résidence pendant plusieurs mois, alors que d’autres ont dû les suspendre en attendant que le Ministère autorise le versement de fonds supplémentaires. Des personnes sinistrées dont la résidence était une perte totale ont dû contracter des emprunts bancaires importants afin de se relocaliser.

Toutes les personnes sinistrées qui ont fait appel au Protecteur du citoyen ont pu y trouver un recours simple, sans formalités et gratuit. Quand cela s’avérait justifié, le Protecteur du citoyen est intervenu auprès du ministère de la Sécurité publique afin de faire corriger les dossiers individuels. Ces personnes ont ainsi pu obtenir les réparations nécessaires.

Je souligne au passage la bonne collaboration du Ministère lorsque le Protecteur du citoyen est intervenu afin de régler les dossiers problématiques.

Nos constats, qui découlent de l’analyse des plaintes individuelles de personnes sinistrées, nous permettent d’évaluer avec justesse la portée du projet de loi n° 8.

D’emblée, je suis d’avis que les modifications envisagées à la Loi sur la sécurité civile devraient permettre de simplifier et de faciliter l’accès aux indemnités pour les citoyens après un sinistre.

Selon moi, le pouvoir d’établir un programme général d’indemnisation – prévu au projet de loi n° 8 – devrait permettre d’alléger le processus d’indemnisation après un sinistre, et ce, à deux niveaux :

  1. par une mise en oeuvre simplifiée du programme général d’indemnisation; et
  2. lors du traitement des demandes.

Actuellement, en vertu de la Loi sur la sécurité civile, la mise en oeuvre d’un programme spécifique d’indemnisation requiert l’approbation du Conseil des ministres, ce qui peut prendre jusqu’à deux semaines. Dans l’intervalle, les personnes sinistrées se retrouvent dans l’incertitude, ne sachant pas si elles pourront bénéficier d’une indemnité dans le cadre d’un programme d’aide.

Les modifications envisagées à la Loi sur la sécurité civile par le projet de loi n° 8 permettraient au gouvernement de mettre en place un programme général d’indemnisation. Ainsi, la ministre de la Sécurité publique pourra agir promptement en cas de sinistre par la mise en œuvre dudit programme, ceci par un arrêté ministériel. D’où un gain de temps.

J’en viens à la principale valeur ajoutée du projet de loi : la mise en œuvre d’un programme général d’indemnisation devra surtout permettre de simplifier le traitement des demandes d’indemnité par la réduction du nombre d’étapes administratives requises.

Concrètement, selon les informations que nous avons reçues du ministère de la Sécurité publique, en vertu du programme général d’indemnisation, les personnes sinistrées n’auraient plus à faire la preuve de l’utilisation de l’aide financière qui leur a été versée. Ils n’auraient donc plus à obtenir deux soumissions pour établir le coût des travaux ni à fournir des factures et autres pièces justificatives. En conséquence, le ministère de la Sécurité publique n’aurait plus à valider que les travaux ont été exécutés. Le traitement des demandes par le ministère de la Sécurité publique sera ainsi allégé et le délai de versement des indemnités sera réduit.

Ces allégements devraient permettre au ministère de la Sécurité publique de redéployer ses ressources humaines et financières afin d’améliorer le processus de traitement des demandes. En effet, à ressources égales, un nombre moindre d’étapes permet une plus grande efficience et rapidité de traitement. Aussi, la prise en charge rapide des demandes d’indemnisation et d’évaluation des dommages ne peut qu’avoir des effets bénéfiques sur le rétablissement à la suite d’un sinistre.

En conclusion, le Protecteur du citoyen souscrit à la volonté exprimée dans le projet de loi n° 8 de simplifier et de faciliter l’accès aux indemnités en cas de sinistre.

Les modalités du programme général d’indemnisation restent toutefois à être définies par le gouvernement. Le Protecteur du citoyen demeurera vigilant quant à l’établissement de ce programme afin qu’il réponde aux besoins des personnes sinistrées.

Je termine en rappelant que le Protecteur du citoyen demeure disponible en tout temps pour recevoir les plaintes des personnes sinistrées insatisfaites du traitement de leur demande d’aide financière ou d’indemnisation. Nous avons une vaste expérience des situations qui, comme c’est le cas lors d’un sinistre ou de toute autre crise majeure, nécessite une réponse au citoyen qui soit efficace, rigoureuse et empathique.

Je vous remercie de votre attention.